La Couleur de l’eau

« Un champ en fleur tel que les impressionnistes ont pu le représenter, devient sous l’eau un monochrome vert, bleu ou jaune. Cette vision nous renvoie ainsi à l’histoire de la peinture, de l’art et notamment à celle allant du monochrome aux installations immersives, d’Yves Klein à James Turrell ou Ann Veronica Janssens. Si l’on change d’échelle, celle des formes du plancton coloré, on entre dans les planches d’Ernst Haeckel, les architectures de Buckminster Fuller... La couleur de l’eau n’est pas ici une limite dans la représentation du paysage sous-marin, elle en constitue la complexité, la richesse et la spécificité. La turbidité serait donc au paysage sous-marin ce qu’est l’horizon au paysage terrestre, son point de fuite, vers le monochrome. La dimension picturale immersive du milieu marin, la capacité d’apparente abstraction offerte par le milieu en fait un espace complexe d’exploration, à différentes échelles, de la couleur, de la lumière et du vivant qui la compose... »
Nicolas Floc’h, 2018.

Le milieu marin est le terrain d’exploration privilégié de Nicolas Floc’h depuis ses premières œuvres au milieux des années 1990. La première œuvre montrant la couleur de l’eau « monochrome », réalisée en 2004, révélait la dimension immersive du milieu aquatique. En 2016, il entame un travail artistique centrée sur la couleur de l’eau dans le cadre du projet « Les Travailleurs de la mer » avec les chercheurs de la Station Marine de Wimereux et artconnexion à Lille. L’étude de la couleur de l’océan permet de comprendre et de caractériser les variations biologiques du milieu. Les modifications de la couleur sont induites par les variations de concentration des éléments optiquement significatifs des eaux de surface, et en premier lieu le phytoplancton, mais aussi les substances organiques dissoutes, et les particules minérales. À partir de la couleur, on peut donc déterminer la composition biogéochimique des eaux, ainsi que le type de phytoplancton présent. Celui-ci n’est pas seulement vital pour les espèces marines, étant à la base de la chaine alimentaire mais également pour l’ensemble des espèces de la planète. En effet, Il joue un rôle essentiel dans la régulation du climat, l’absorption et le stockage du CO2 et la production d’oxygène. L’artiste photographie la couleur des mers et océans depuis l’intérieurs des masses d’eau, révélant ainsi la dimension picturale immersive du milieu marin. La série La Couleur de l’eau s’inscrit dans un projet plus large Paysages Productifs, amorcé en 2015 et rassemblant les séries photographiques sur la représentation des paysages et habitats sous-marins et leur rôle en tant qu’écosystèmes productifs. Indicateurs essentiels des grands enjeux de société, la couleur de l’océan et l’état des paysages permettent de visualiser des phénomènes tels que l’acidification des océans, le cycle du carbone, la modification et l’habitabilité des milieux.
Les œuvres montrées à Eternal Gallery constituent les amorces des séries La Couleur de l’eau et Initium Maris : une image isolée prise dans les eaux de Méditerrannée, la pièce sonore La Couleur de l’eau, deux images de la série Ouessant sur les paysages sous-marins de Bretagne exposées pour la première fois en 2017 au FRAC Bretagne et la sculpture d’un récif artificiel imaginé par l’artiste. Pour chaque œuvre, il est question de peinture, entre le monochrome de Porquerolles, les photos très graphiques d’Ouessant, le vinyle noir de la pièce sonore. « Sous l’eau plus qu’ailleurs, le paysage est formé du visible et de l’invisible, dans un paradoxe sublime, l’invisible détermine le visible, le microscopique devient paysage. » (Nicolas Floc’h). L’artiste nous plonge dans des images abstraites qui sont pourtant emplies de détails et de vivants ; il nous propose, à notre tour, d’être en immersion.

Les œuvres exposées :
La Couleur de l’eau, peinture productive sonore, 2017 (production du disque 2021), parole d’Hubert Loisel, hauts-parleurs, lecteur. Enregistrement issu d’un entretien avec Hubert Loisel, chercheur au Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences - UMR 8187 LOG, CNRS, ULCO, Université de Lille. Production artconnexion / Fondation Daniel et Nina Carasso, Station marine de Wimereux.
Hubert Loisel, spécialiste de l’analyse de la couleur de l’océan, parle de monochromie, de surface, de strates, de lumière et de transparence. Il est également question d’absorption de la couleur, de pigments, de teintes, de réflexion de la lumière et de production. Ce vocabulaire pictural est lié à l’océan dont les couleurs visibles par l’œil humain ou le satellite donnent des informations sur la production primaire, c’est-à-dire la base du vivant dans les océans.
Paysages productifs, Ouessant, Laminaires, -11 m, 2016, tirage pigmentaire sur papier mat Fine Art, 110 x 154 cm, production La Criée, centre d’art contemporain / EESAB, Frac Bretagne Rennes.
Paysages productifs, Ouessant, Roches, -28 m, 2016, tirage pigmentaire sur papier mat Fine Art, 110 x 154 cm, production La Criée, centre d’art contemporain / EESAB, Frac Bretagne Rennes.
La Couleur de l’eau, Colonne d’eau, -10 mètres, Méditérranée, Porquerolles, France, 2020, tirage pigmentaire sur papier mat Fine Art, 150 x 210 cm, production Eternal Network.
Structure productive, étude RA, 2015, béton, 115 x 70 x 60 cm.

NICOLAS FLOC’H
Né en 1970 à Rennes, France, il vit et travaille à Paris, et enseigne à l’EESAB-Site de Rennes.
Nicolas Floc’h explore les pratiques artistiques en fonction des contextes qu’il investit. Ses œuvres se déclinent en de multiples formes – photographie, installation, sculpture, film, performance, scénographie... – qui se présentent comme des structures ouvertes, multifonctionnelles, modulables et consommables. Des produits proviennent du mot qui les désigne et sont vendus au marché, un filet de pêche pélagique qui reproduit la Tour Eiffel à l’échelle 1, une structure multifonctions se transforme au gré des utilisations (bibliothèque, comptoir...), etc. Ses propositions artistiques s’inscrivent dans le champ de l’expérimentation questionnant les modes de production, de distribution et de consommation de l’art. Nicolas Floc’h invente des processus de création qui ne peuvent exister sans la collaboration et l’appropriation d’autres personnes.
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