La Doublure

Un patrimoine industriel remarquable

La Manufacture des Allumettes de Trélazé, située sur la communauté d’agglomération Angers Loire Métropole, constitue un ensemble architectural et urbain remarquable, témoin unique en France de l’évolution architecturale des bâtiments manufacturiers et marque essentielle d’une activité industrielle constitutive de la ville. C’est en 1863 que s’opère la mise en activité de la première fabrique d’allumettes à Trélazé : l’établissement des frères Lebatteux. Cette fabrique donna à la production des allumettes jusque-là encore très manuelle une dimension industrielle.
En 1872, l’État français se réserve le monopole de l’achat, de la fabrication et de la vente des allumettes chimiques.
En 1874, 500 fabriques artisanales ferment en France et il ne reste plus que 11 fabriques dont celle de Trélazé.
1930 : transfert de la manufacture sur le site actuel.
En 1967, c’est la production de 26 milliards d’allumettes qui sortent chaque année grâce à l’implication de plusieurs centaines d’ouvrières et employées.
1981 : arrêt de la production industrielle.

Un nouveau quartier appuyé sur l’histoire des ouvrier·ère·s

Le site, que les habitants de Trélazé appellent communément « La Manu » ou « Les Allumettes », renferme les anciens bâtiments de l’usine. Également, des ateliers de fabrication appelés « halles », des éléments caractéristiques du patrimoine industriel ont été conservés : une structure en béton, support d’un château d’eau disparu, une cheminée en briques en grande partie déconstruite, deux bow-strings de liaison entre certaines halles, des lanterneaux de ventilation sur la toiture des ateliers. Les halles sont en partie reconverties en logements tout en préservant leur architecture remarquable, aussi bien extérieure qu’intérieure.
Sensibles à la valeur symbolique de ce patrimoine industriel rare, un certain nombre d’habitants se sont mobilisés pour le sauvegarder. Ils souhaitent également rendre accessible à tous l’histoire de cette ancienne usine et le savoir-faire de ses ouvriers en exposant des archives dans une salle de mémoire.
Ce sont ces souhaits qui ont poussé ces habitants et certains retraités de la manufacture à se regrouper et à créer l’association « Les Amis des allumettes », pour proposer un projet de commande artistique visant à mettre en valeur un élément de ces points de repère existants ou à venir, à savoir l’ancienne cheminée du site.
Ils ont fait appel à Entre-Deux et Eternal Network, médiateurs de l’action Nouveaux commanditaires de la Fondation de France et également à la conseillère pour les arts plastiques de la Drac Pays-de-la-Loire. Sur leur proposition, les commanditaires ont décidé de confier cette commande à l’artiste Raphaël Zarka.

La commande

L’objectif de la commande est de pérenniser la mémoire de la manufacture des Allumettes dans toutes ses composantes historiques, économiques, sociales et architecturales. Figure incontournable de la ville de Trélazé, la manufacture a marqué le paysage avec sa cheminée aujourd’hui tronquée, son architecture industrielle, et les activités des ouvrières et ouvriers qui ont fait vivre le site.

Longtemps à l’abandon, ce site a fait l’objet d’une convention avec la DRAC dès 2010 pour la sauvegarde de certains éléments dans le cadre d’un projet urbanistique aujourd’hui opérationnel (commerces, logements) portés par Podeliha.
Il devenait donc urgent de joindre à cette opération urbaine un projet culturel et artistique ambitieux et « adopté » par les futurs habitants du site, les riverains et plus largement tous les publics.

Une expérience contemplative qui crée de nouveaux usages

Après avoir étudié différentes possibilités, Raphaël Zarka a choisi de travailler sur la cheminée tronquée.

L’œuvre s’intitule La Doublure. En effet, la préoccupation de Raphaël Zarka est de revendiquer une œuvre qui intègre dans sa conception et sa réalisation la notion de « doublure ». 2 cheminées, 2 surfaces (intérieur/extérieur), 2 dalles de béton (sol/toit), 2 sculptures : la première est l’ensemble des 2 cheminées reliées par deux dalles de béton que l’artiste considère comme une sorte de « nature morte métaphysique » qui n’est pas sans rappeler les peintures de Giorgio de Chirico. La seconde reprend l’intérieur du conduit de la nouvelle cheminée. Cette œuvre propose une double expérience : l’expérience du parement en spirale (une expérience contemplative : le soleil et les ombres mouvants, ainsi que le corps du spectateur dans une moindre mesure), et une expérience plus en mouvement, celle de la dalle que les visiteurs et les usagers sont invités à s’approprier. C’est dans cette logique que Raphaël Zarka a travaillé en souhaitant que la grande cheminée soit pourvue de 4 entrées pour un lieu de passage, de circulation mais aussi pour capter le seuil d’une expérience artistique proposée par l’artiste.

Coupe transversale de l’œuvre, 2019.

Simplifiés, les volumes en béton et en briques proposés par l’artiste s’inscrivent parfaitement dans la rigueur architecturale de la manufacture et ménagent aux curieux une expérience esthétique unique qui est révélée à l’abri de la nouvelle cheminée. Ce monument intérieur renoue avec les techniques de montage des cheminées Tudor qui ont déjà servies de références au travail sculptural de l’artiste : "Le Cénotaphe d’Archimède", 2011.
La proposition de Raphaël Zarka participe de la mémoire du site à travers la préservation patrimoniale de l’élément visuel le plus significatif de son histoire mais accompagne également ce nouveau quartier dans son futur avec la création d’une œuvre d’art, préfiguration d’un véritable lieu public.
Marie-Laure Viale.