
Résistance Madeleine et Jean Zay
Anne & Patrick Poirier
Le contexte
Mais qui est Jean Zay ?
À Orléans, Jean Zay donne son nom à un lycée et à une avenue. Mais finalement, peu de gens connaissent véritablement cette personnalité politique à qui l’on doit, entre autre, la modernisation et la démocratisation de l’enseignement, d’innovantes actions en faveur de l’égalité des chances, la création des CROUS ou encore du CNRS, la naissance d’un ministère dédié aux arts. Ces valeurs humanistes sont naturellement à l’origine de son engagement antifasciste et donc dans la résistance face au régime de Vichy. Mort en martyre, assassiné par des miliciens français à l’aube de la Libération, sa mémoire s’inscrit dans la défense de la République juste et laïque.
Si la reconnaissance de Jean Zay est longue à mettre en place, c’est qu’il n’a pas une image consensuelle dans une ville marquée par une tradition catholique puritaine dont les stigmates persistent encore aujourd’hui. En effet, ce débutant (plus jeune ministre à 31 ans) d’origine juive (marié à une protestante) franc-maçon et radical de gauche, a subi de nombreuses attaques nauséabondes qui ont perduré jusqu’à récemment. Il entrera néanmoins au Panthéon le 27 mai 2015 et cela pose question quant aux cérémonies orléanaises qui s’appuyaient sur la présence de son corps dans le cimetière.
Hélène et Catherine se sont alors rapprochées d’Eternal Network pour les accompagner, dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires, dans la création d’une intervention artistique dépassant les tutélaires monuments commémoratifs, mettant en avant un devoir de transmission des valeurs de leur père. Le médiateur a suggéré alors qu’à ce projet soit associé, via le Conseiller pour les arts plastiques de la DRAC Centre–Val de Loire, le ministère de la Culture, héritier du ministère créé par Léon Blum et confié à Jean Zay – à qui l’on doit notamment le 1% artistique.
Un nouveau jardin public dans un nouveau quartier au cœur du centre ancien
Jean Zay est né et a vécu à Orléans. Plus précisément, son père tenait une imprimerie rue des Carmes et c’est là qu’il a rencontré Madeleine qui allait devenir son épouse. Rue des Carmes, justement, il y avait un grand complexe hospitalier, fondé au XVIIIème siècle et qui, aujourd’hui, fait l’objet d’un important chantier de réhabilitation et réaffectation. Dans le cadre de la réhabilitation de cette ZAC, les riverains ont vivement demandé la création d’un jardin public qui fait défaut dans ce quartier. Le Maire d’Orléans a alors proposé aux commanditaires d’associer la demande de jardin à la demande d’un lieu d’hommage à Jean Zay.
La commande
Les commanditaires ont émis le souhait d’investir un espace public central, pour que l’ensemble de la population se sente concernée.
L’œuvre doit évoquer les valeurs défendues par Jean Zay, la République, la culture pour tous, l’égalité des chances, l’équilibre culture physique / culture intellectuelle, la justice, la résistance...
Ce qui ressort en particulier, est un hommage à Jean Zay centré sur la transmission des valeurs républicaines d’égalité et de fraternité.
L’idée notamment est de faire en sorte que l’œuvre puisse servir à l’organisation de cérémonies de commémoration et puisse être identifiée, plus largement, comme un lieu symbolique de défense des droits, un lieu où l’on puisse se rassembler pour d’autres événements, un lieu vivant qui invite à se poser, à y passer du temps.
Le projet d’Anne & Patrick Poirier
Les artistes se sont attachés à une méditation sur la liberté à partir d’un texte de Jean Zay extrait du cahier de prison publié dans Souvenirs et solitude, où l’auteur décrit les conditions de son emprisonnement à Riom. Dans la cour de sa cellule il a planté deux saules faisant ainsi venir des oiseaux et c’est ce geste qui lui permet cette méditation.
Au cœur du projet de jardin des artistes, une grande feuille de saule dessinée au sol retrace ces principales nervures et accueille une longue table de 26 mètres de long en granit noir, avec des inscriptions (certaines en lettre d’or) qui reviennent sur les actions marquantes de l’homme politique et des phrases issues de Souvenir et solitude. Des tabourets tout autour rendent possible un véritable usage de la table comme pourrait l’être une table de banquet mais aussi de pique-nique, et permet d’accueillir une classe d’élèves pour une discussion, un débat, une leçon... Les artistes plantent, à leur tour, deux saules qui ouvrent l’espace vers la table.
- dessins techniques de la table, 2018
Un deuxième espace, en forme de feuille de chêne cette fois, est dédié aux enfants, avec des jeux.
D’une manière générale, les artistes et la paysagiste ont pensé le jardin dans une grande sobriété, avec des essences aux tons doux et des nuances de blancs, de bleus, de verts. Des persistants tiennent une place importante afin de conserver des volumes tout au long de l’année.
Une œuvre de mémoire vivante
L’idée centrale développée par les artistes se résume à un locus qui traverse toute la pensée occidentale depuis Platon : la table du Banquet (républicain).
L’œuvre d’Anne et Patrick Poirier s’est imposée dès l’origine du projet pour trois raisons principales.
Par le passé, la présence d’œuvres contemporaines dans l’espace public orléanais a pu faire l’objet de polémiques. Il s’agissait cette fois de faire en sorte que l’ensemble des sensibilités puissent se reconnaître dans un projet au caractère symbolique affirmé. L’œuvre des Poirier, notamment par sa référence fréquente aux monuments de l’Antiquité, comme a pu l’être, au même moment qu’à leur début, celle d’un Ian Hamilton Finlay, traverse les décennies comme les ordres anciens traversent les siècles en façonnant la physionomie et les typologies urbaines des villes européennes. Cette ambition d’universalité qui a caractérisé l’architecture gréco-romaine et ses multiples reprises et transformations n’est pas sans écho avec le message humaniste, à caractère lui aussi universel, de l’œuvre politique, social et littéraire de Jean Zay. Artistiquement parlant, l’œuvre, par ailleurs incontestablement contemporaine d’Anne et Patrick Poirier est parvenue sans difficulté à créer localement un consensus qui augure d’une approche apaisée bien qu’exigeante du personnage Jean Zay lui-même.
Par ailleurs, les deux artistes se nourrissent de manière récurrente d’un rapport actif et conceptuel à la mémoire. Mnémosyne est leur moto principal, et ce n’est pas pour rien qu’ils ont été parmi les tous premiers artistes à contribuer à la redécouverte du travail de l’historien d’art aujourd’hui adulé, Aby Warburg, à la fin des années 1980. Ce rapport se cristalise dans des symboles forts, immédiatement visibles et déchiffrables, comme l’est la table monumentale qu’ils proposent dans le cadre du nouveau jardin en hommage à Jean Zay.
Enfin, si il y a bien un espace qui leur est familier et qui les inspire, c’est bien celui du jardin. Parmi les projets les plus ambitieux qu’ils ont eu la possibilité de réaliser durant leur longue carrière, les jardins figurent en bonne place. Tous cependant sont en Italie, aucun n’a été réalisé à ce jour en France, et presque tous l’ont été pour des collectionneurs privés.
Artiste :

Lieu
Zac Madeleine, Orléans (Loiret).
Dates
en cours, initié en 2014.
Commanditaires
Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay, les filles de Jean Zay,
Pierre-Louis Emery, Jean-Christophe Hagnlund, Janny Léveillé, membres de l’association Le Cercle Jean Zay,
Nathalie Grenon, Étienne Morin et Véronique Servai, habitants,
Michel Dubois, galeriste
Pascal Ory et Antoine Prost, historiens.
Comité de Pilotage
les commanditaires, des élus de la Ville d’Orléans, la Drac Centre–Val de Loire.
Médiateurs
Éric Foucault (Eternal Network), Jean-Christophe Royoux (Conseiller pour les arts plastiques Drac Centre–Val de Loire).
Maîtrise d’œuvre associée
Sylvanie Gré, paysagiste (agence D’Ici-là) et agence Jacques Ferrier (architecte programmiste pour l’ensemble de la ZAC).
Maîtrise d’ouvrage déléguée
SEMDO.
Partenaires
Fondation de France, DRAC Centre–Val de Loire (Commande publique du ministère de la Culture), Ville d’Orléans